Les paons blancs, réveillés par la Faustin qui rêve,
Glissent en notre esprit avec moins de douceurs
Que la grâce de vos héroïnes, sans trêve,
Maître : Marthe, Renée et Manette, et leurs sœurs.
Les paons blancs évoqués par la Faustin qui songe,
N’est-ce pas, clairs oiseaux sous leur plume en linon,
Henriette qui meurt de son chaste mensonge,
Blanche qui meurt plus blanche encore que son nom ?
Les sons d’orgue filtrant à travers la muraille,
Dans une nuit d’amour que narre la Faustin,
Sont leurs chants doux et forts dont notre cœur tressaille
Et que ne fera taire aucun cri du matin.
Les heures qui tintaient sous son voile en dentelle
Jeté sur la pendule, un autre soir d’amour,
Sont celles dont pour vous le futur se constelle,
Plus sonores et plus suaves, jour à jour.
Car vous êtes celui qui n’a pris de la gloire
Que le plus pur laurier, et qui n’a rien voulu
Que le triomphe d’une incessante victoire
D’être toujours plus cher, plus écouté, mieux lu.
Dans le loisir choisi d’une docte retraite
Parmi vos objets d’art, vos laques précieux,
Vous goûtez votre vie admirable et discrète
Entre les fleurs du rêve et les astres des cieux.
Sage auquel nous devons la Maison d’un artiste,
Qui nous dit le Japon, mieux que nul voyageur,
Sans l’avoir jamais vu ! — qui de nous, venu triste,
N’a quitté votre seuil, moins âpre et plus songeur ?
La maison de Socrate est pour vous bien étroite
S’il y faut loger ceux à qui vous fûtes doux ;
Qui, d’un exemple élu de conscience droite,
Ont conçu l’ardent vœu de vivre ainsi que vous
Dans un chemin d’honneur, de beauté probe et pure,
Et d’amour, répandus en des livres exquis
Et profonds, dont le sens reluit sous la guipure
De maints termes par vous sur l’avenir conquis.
Michelet délicat, résurrectionniste
De l’histoire aux mots fins, au gracieux détail,
Et qui faites parler chaque objet qui persiste :
Un meuble, un dé de Saxe, un vase, un éventail,
Témoins d’un passé mort qui vous disent leurs charmes
Défunts et leurs secrets d’un ton de sphinx léger,
Dont votre piété va recueillant les larmes
D’où la vérité haute a su se dégager.
Car c’est moins le fait froid et lourd qui vous occupe
Mille fois ressassé, jugé sans nul appel,
Que cet enseignement qui sort d’un pli de jupe,
Déduit d’un trait plus net que le trait d’un scalpel.
Le fichu de fin lin de Marie-Antoinette,
Le bouquet Pompadour, le rose du Barry,
Vous aident à tirer la conclusion nette
D’un enseignement vain, nébuleux ou flétri.
Romancier merveilleux, votre tâche est plus grande
Encore ; des premiers conquérants du réel,
Il faut que le vieux champ des semailles vous rende
Un suc plus savoureux et plus artériel.
Plus subtile est en vous la Comédie Humaine,
Et, sur votre théâtre aux décors suggestifs,
Votre observation aiguisée en promène
Les acteurs plus nerveux, plus souples, moins fictifs.
Sœur Philomène sous sa guimpe en modestie,
Madame Gervaisais, la folle du saint lieu,
Râlante sur le pas de cette sacristie
Vaste : le Vatican, aux pieds du pape-Dieu.
Et la pauvre Élisa, la morte de silence,
Et la rare Chérie au beau destin mort-né,
Qui de ce blanc faisceau de vos filles s’élance,
Comme un lys amoureux délectable et fané.
Et ce Gianni penché sur ce Nello qui pleure…
Ô le plus émouvant et douloureux anneau
Du scintillant collier de votre œuvre, est-ce un leurre
D’y lire un autre nom des frères Zemganno ?
De voir en ce Nello celui qui du ciel même
Aujourd’hui nous assiste, et qui daigne cueillir
Son bien de notre gerbe, et qui sait bien qu’on l’aime
En vous aimant d’un cœur qui ne sait point faillir.
Nous lui tendons sa part de roses et de palmes,
Mais gardons assez, maître auguste et chéri,
Pour enchaîner longtemps vos ans soyeux et calmes
D’un lien parfumé, sensitif et fleuri.
Robert de MONTESQUIOU.